Le site
d’Ilet aux Orangers
Le nom d’Ilet aux Orangers viendrait des innombrables fruitiers qui poussaient là autrefois et dont subsistent encore quelques pieds que l’on trouve au fond de la gorge de la ravine Grand’Mère, après en avoir descendu le flanc vertigineux qui borde les habitations situées sur le plateau. Les fruits de ces orangers sont relativement amers et portent localement le nom de bigarades. Mais le nom de l’îlet pourrait aussi venir du fait que le chef marron «Orange» y avait établi son campement…
Le plateau des Orangers est limité à l’Ouest par la ravine des Orangers et réduit à l’Est par la ravine Grand’Mère qui y a creusé son lit, fracturant le plateau, et déterminant ainsi un deuxième espace sur lequel les habitants se sont installés et exploitent le terrain. Ilet aux Orangers, lorsqu’on aperçoit ses habitations en descendant le sentier du Maïdo, apparaît comme une véritable forteresse dressée dans un environnement déchiqueté. On comprend mieux que ce fut le refuge de noirs marrons qui offrirent une résistance acharnée facilitée par l’extrème difficulté d’accès au plateau.
Un deuxième accès, nettement plus facile, se fait de Sans Souci en suivant la canalisation des Orangers, puis en grimpant jusqu’au captage sur la ravine du même nom, ravine que vous remonterez jusqu’aux habitations du plateau. Ilet aux Orangers est l’îlet le plus déshérité de Mafate. Il n’y a pas très longtemps, il fallait plus d’heure de marche pour aller chercher le précieux liquide à la source la plus proche et ramener un «fer blanc» d’eau porté sur la tête… L’eau était si précieuse qu’elle était utilisée d’abord pour la survie, la cuisine, les animaux et les cultures aspergées «au soc»*. La lessive et la toilette se faisaient au fond de la ravine…
* Le soc est un morceau de tôle recourbée fixé à l’extrémité d’un manche en bois. L’eau de pluie ou amenée était stockée dans un petit bassin construit dans le champ. Ses parois étaient constituées de pierres montées et l’étanchéité était assurée par un amalgame de paille sèche et d’argile. L’agriculteur remplissait son soc et aspergeait son champ à petits coups secs et rapides en tournant sur lui-même.
Les habitants d’Îlet aux Orangers
83 personnes, réparties en 17 familles, habitent aux Orangers en 1986.
11 familles portent le nom de LOUISE, 3 le nom d’ATACHE, les 3 autres portent celui de CERNOT, MAGDELEIN et HOARAU. La population est répartie sur les trois replats qui dominent la rive gauche de la Rivière des Galets, coupés de celle-ci par la crête des Orangers. Accoutumés à l’isolement du fait des difficultés d’accès à l’îlet et peu habitués à voir des têtes nouvelles, les habitants semblent être un peu distants et méfiants de premier abord. Mais le contact établi, ils pratiquent une hospitalité souriante. On ne peut oublier la gentillesse de Madame ATACHE Arthur chez qui le café, un délicat Bourbon pointu dont les grains se cueillent de sa fenêtre, est de tradition pour le visiteur. Ah le café de Madame ATACHE !… Vous avez l’occasion de passer cinq fois devant sa porte dans la journée et chaque fois vous êtes invités à partager une tasse de ce délicieux breuvage…
Et on ne peut oublier l’accueil de Madame LOUISE Honoré, doyenne des Orangers à 83 ans, à l’occasion d’une visite dominicale avec nos élèves à son habitation. L’ambiance fut telle que nous eûmes droit à une chansonnette «lontan», accompagnée au final par son fils Honoré, le tout se terminant par un «séga piqué» endiablé dansé par ses enfants devant nos élèves enthousiastes et hilares. Qui disait qu’aux Orangers, les gens étaient «sauvages» ? Assurément quelqu’un qui n’y a jamais mis les pieds…
Depuis le début de la décennie, les habitants d’Ilet aux Orangers connaissent des conditions de vie nettement améliorées. L’eau courante est arrivée en mai 1982, alors que, ironie du sort, les captages à 200 m en contrebas des ravines Grand Mère et des Orangers alimentent en eau potable une grande partie de la région de St Paul depuis 1969. Jusqu’en 1982, les enfants des Orangers fréquentaient l’école de Roche Plate. Il fallait deux à trois heures de marche pour y aller. À la rentrée 1982/83, une école de deux classes a été implantée, ainsi qu’une cantine et un logement de fonction pour deux enseignants. Enfin, le dimanche 19 août 1984, Mgr AUBRY inaugurait la chapelle construite en commun par des gens de l’îlet et des jeunes de l’extérieur, élèves des «Orphelins Apprentis d’Auteuil» à La Ruche. Les plans ont été faits pour que la chapelle serve également d’abri anticyclonique.
Grand Place et sa vieille école
L’école de Grand place est la plus ancienne du Cirque de Mafate. Elle date de 1923. Un bâtiment tout neuf, destiné à la remplacer, est en construction à Grand Place Boutique. Il permettra à l’enseignant de travailler dans de bien meilleures conditions et surtout d’y être logé correctement. Les autres écoles du Cirque ont fait l’objet dans l’ensemble d’aménagements récents permettant aux instituteurs, si l’on fait abstraction de l’obligation pour eux de séjourner la semaine dans l’îlet où ils ont été nommés, d’exercer leur métier correctement. Jean-Pierre est instituteur à Ilet à Bourses. Il raconte :
« Après le concours à l’Ecole Normale, j’avais le choix entre Mare à Vieille Place dans Salazie et Ilet à Bourses. J’ai préféré Mafate. Autant être isolé complètement qu’à moitié isolé. Et je suis ici depuis trois ans…
La première difficulté, c’est le travail avec des niveaux différents. J’ai les élèves du CE2 jusqu’au CM2. On travaille par groupe. Le problème, c’est que quand les gosses arrivent en CE2, ils n’ont souvent pas fait de maternelle. N’ayant pas de relation avec l’extérieur, ils sont bloqués au niveau de l’expression. Déjà entre eux dans la famille, ils ne se parlent pas beaucoup. Mais l’ambiance est bonne dans la classe. Sur 14 élèves, ce sont 14 cousins-cousines. Ils s’appellent tous THOMAS ! Je les appelle donc par leur prénom.
L’école, c’est un peu leur télévision. Ils préfèrent venir en classe que rester chez eux ou travailler dans les champs… Mais c’est aussi le repas de midi. D’ailleurs, quand il n’y a pas de cantine, c’est rare de voir les enfants. Et puis les parents ne s’intéressent pas au travail scolaire. Il est possible qu’ils ignorent si leur fille de 6 ans sait lire maintenant ou si elle ne sait pas lire…. Quand ils rentrent chez eux, les gosses vont chercher de l’eau, du bois et ça s’arrête là. On ne leur donne pas de devoirs à la maison car ils ne seront pas faits. Et ce n’est pas un problème de lumière. Nous on travaille bien à la bougie…
Grand Place et la tournée du facteur
Le facteur Angélo TIBURCE, la quarantaine bien sonnée, est Mafatais de naissance.
Entré dans les PTT en tant qu’intérimaire pour distribuer le courrier des habitants du Cirque, il organise sa tournée au départ de la Poste de Rivière des Galets. Il dessert le mardi Grand Place les Bas. Tournée bien vite faite : Quelques cases de part et d’autre de l’unique ruelle et tout au bout l’école avec une boîte aux lettres dessus annonçant que «la levée du vendredi est faite». Le mercredi, Angelo grimpera le sentier qui dessert Ilet à Cordes (Mafate) puis rentrera sur Grand Place l’après- midi. Jeudi, ce sera le tour des Lataniers, des Orangers et de Roche Plate de recevoir la visite de notre sympathique facteur. Mais écoutons Angélo Tiburce parler de son métier :
« Si je compte tous les petits trajets, je dois faire par semaine environ 80 à 90 km, avec 15 à 20 kg sur le dos…
Je distribue des journaux, des catalogues, des lettres, des colis, des mandats et des chèques aussi… À Grand Place, des gens jouent au Loto. Je me charge alors de faire valider les bulletins et je ramène ensuite le mardi suivant le double de la grille et les quelques gains de trois ou quatre numéros. Si les gains sont plus importants, la personne doit descendre à St Denis. Nous avons eu ici un gagnant à 5 bons numéros… Cela lui a rapporté 50000 F (20000 € 2019) »
Lorsqu’on lui demande si cela lui plait d’être facteur dans le Cirque, il répond : « Je commence ma semaine le mardi à 5 H du matin et je termine le vendredi. La levée de Grand Place faite, je redescends vers la Poste de Rivière des Galets. Certes c’est dur, mais étant un enfant du Cirque, je suis habitué. Cependant je regrette de ne pas toucher comme les collègues du littoral «la prime de risque», car Ivrin (son collègue desservant un autre secteur de Mafate) et moi, nous n’y avons pas droit, ce qui est un comble !…»